A la fin du mois de juin 2024, la CNCDH, acronyme pour Commission Nationale Consultative des Droits l’Homme, autorité administrative indépendante qui a pour mission de conseiller les décideurs sur le sujet des droits de l’homme, a publié son 34e rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, portant sur l’année 2023.

En se basant sur des enquêtes concernant les opinions des personnes et sur l’analyse des statistiques étatiques (Ministère de l’Intérieur, Ministère de la Justice, …), en analysant les contributions de différents acteurs institutionnels (DDD, DILCRAH, …) et de la société civile (MRAP, CGT, …), ce rapport permet d’établir une photographie du niveau de tolérance au sein de la société française, et permet ainsi de mesurer, d’année en année, son évolution. Il mesure aussi les racismes que subissent les différentes minorités en France (Juifs, Roms, Noirs, Asiatiques, Musulman) ainsi que l’évolution de certaines formes que celui-ci peut prendre (antisémitisme, islamophobie, antitsiganisme).

 

Augmentation de l’intolérance

Pour 2023, le rapport met en évidence que le niveau de tolérance est en baisse, et cela, pour la deuxième année consécutive. Depuis 2022, il a baissé de trois points pour se retrouver au niveau de 2017 et 2018.

Comme l’affirme la CNCDH, « ce repli s’inscrit (…) dans un contexte de défiance vis-à-vis de l’Autre et de la diffusion d’un discours haineux dans certaines sphères politiques et médiatiques où la figure de l’immigré est rendue responsable des maux de la société »[1]. Cette année a été marquée par plusieurs événements, qui en eux-mêmes, mais aussi à travers leur cadrage médiatique et politique, ont contribué à cette augmentation de l’intolérance en France. Les auteurs citent les émeutes qui ont eu lieu en juin-juillet 2023 à la suite de la mort du jeune Nahel tué par un policier, la guerre qui a éclaté entre Israël et la bande de Gaza, la mort du jeune Thomas tué lors d’une rixe à Crépol ainsi que les débats autour de la loi immigration en fin d’année 2023. S’y ajoute l’audience accrue dans les urnes, les médias et les institutions, du Front National et des personnes qui gravitent autour de ce parti politique.

 

En comparant les évolutions au fil du temps du niveau de tolérance et en analysant les circonstances des baisses et augmentations, les auteurs mettent en avant l’importance du contexte et de son cadrage public en mobilisant la « théorie de l’ambivalence » proposée par Paul Kellsted : « En chacun de nous coexistent des dispositions à l’ouverture aux autres et à la fermeture. La domination des unes sur les autres dépend du contexte dans lequel évoluent les individus, de leur voisinage, de leurs réseaux interpersonnels et des discussions qui s’y déroulent, mais aussi de la manière dont les élites politiques, médiatiques et sociales parlent, cadrent et racontent l’immigration et la diversité. »[2]

Ainsi, ils argumentent que la baisse du niveau de tolérance aurait pu être plus importante, mais que l’augmentation générale du niveau du diplôme et le renouvellement générationnel, pourraient expliquer cette baisse de 2023. Néanmoins, les auteurs avancent aussi l’hypothèse qu’il ne pourrait s’agir que d’un début de baisse du niveau de tolérance, baisse qui s’accentuerait les années à venir.

Dans le détail, la baisse du niveau de tolérance concerne toutes les minorités liées aux origines. La tolérance à l’égard des « Noirs » chute de 78 en 2022 à 77, de 72 à 68 à l’égard des « Juifs », de 59 à 57 à l’égard des « Musulmans », et de 45 à 42 à l’égard des « Roms ». De plus, les auteurs soulignent que l’année 2023 a été marquée par une augmentation des actes antisémites qui s’établissant à 1676 faits recensés par le ministère de l’Intérieur.

Le rapport du CNCDH s’attache aussi à expliquer les facteurs sociologiques et politiques déterminant l’adhésion des individus à des préjugés racistes. Sans dire que l’un amène forcément l’autre, ces déterminants permettent de mieux comprendre les facteurs qui peuvent influencer le niveau de tolérance et permettent de déterminer quelles sont les probabilités. Ainsi, plus le niveau d’étude est bas, plus le niveau de tolérance diminue, plus une personne est issue d’une génération jeune, plus elle est tolérante. Autre facteur, le lieu de résidence. Plus une personne habite dans une zone rurale, plus son niveau d’intolérance augmente. Ce déterminant géographique recoupe celui du niveau d’instruction (plus une personne vit en milieu rural, plus son niveau d’étude a une chance d’être faible). Le genre quant à lui n’a que très peu d’effet sur le niveau de tolérance. Le positionnement sur l’échiquier politique, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite, semble, quant à lui, déterminant. Plus une personne s’autopositionne à droite, plus elle est encline à adhérer aux préjugés envers les minorités.

Mais individuellement, ces déterminants peuvent induire en erreur, et il est nécessaire de les croiser pour déterminer lesquels ont le plus d’influence sur le niveau de tolérance. Selon les auteurs, qui les ont croisés, l’orientation politique, le niveau d’étude et l’âge sont prédominant à ce niveau.

 

« Les préjugés racistes s’accompagnent d’une volonté d’imposer à l’Autre – autre par son origine, sa religion sa culture mais aussi ses pratiques sexuelles ou son apparence -, par la force s’il le faut, les normes perçues ou voulues comme dominantes dans la société. »[3]

 

L’antitsiganisme reste le racisme le plus prégnant en France

L’antitsiganisme, et plus spécifiquement la minorité des « Roms », continuent à être le groupe le plus marqué par le racisme et la xénophobie en France. Ainsi, 63% des personnes interrogées continuent à penser que les « Roms » forment un groupe à part. Cela serait notamment lié à leur manque de volonté de s’intégrer, ce que plus de la moitié des personnes interrogés pensent.

 

Cette année, comme pour les autres minorités, les préjugés vis-à-vis de la minorité des Roms sont aussi marqués par une augmentation du pourcentage de Français qui les partagent, et plus particulièrement les idées selon lesquelles les Roms seraient pour la plupart nomades, qu’ils exploitent très souvent les enfants ou encore qu’ils vivent essentiellement de vols et de trafics.

Au niveau géographique, la répartition des personnes qui partagent ces préjugés vis-à-vis des Roms n’est pas uniforme. Ainsi, le Sud-ouest, l’Ouest, l’Île-de-France et le Bassin parisien Est sont moins confrontés à l’antitsiganisme tandis qu’il est plus prégnant dans les régions de l’Est et de Méditerranée.

Ce racisme, comme les autres d’ailleurs, trouve son origine, de nos jours, non dans un racisme biologique en termes d’infériorité des races, mais dans un racisme « culturelle » qui renvoie plutôt vers un comportent considéré comme déviant des Roms en tant que groupe. Cela permet « d’inverser la causalité et de renvoyer la responsabilité du racisme à ceux qui en sont les victimes »[4]. Certains comportements justifieraient ainsi des réactions racistes, car certains groupes de personnes ne se donneraient pas les moyens de s’intégrer.

Les auteurs ont aussi analysé les déterminants sociologiques qui ont une influence sur la probabilité de partager des sentiments négatifs vis-à-vis des « Roms ». Ces déterminants sont générationnels (plus on est âgé, plus la probabilité d’être d’accord avec les préjugés vis-à-vis des Roms augmente) et liés au niveau d’éducation. Le sentiment de déclassement et le sentiment d’insécurité sont aussi corrélés au niveau de l’antitsiganisme. A contrario des autres formes de racisme, où la question du genre ne joue pas de rôle, les hommes ont plus de probabilité d’avoir un niveau de tolérance bas vis-à-vis des Roms que les femmes.

L’autopositionnement sur l’échiquier politique s’impose aussi comme structurant. Plus une personne se classe à droite, plus la probabilité qu’elle partage des opinions relevant de l’antitsiganisme augmente. Ainsi, 81% des sympathisants du Rassemblement Nationales sont hostiles aux Roms, 71% des Républicains, tandis que chez ceux du Modem, de la France Insoumise et d’EELV, on retrouve le niveau d’antitsiganisme le plus bas.

 

Les auteurs du rapport ont essayé de déterminer lequel de ces facteurs est le plus influent sur la probabilité d’avoir des opinions relevant de l’antitsiganisme. Ils arrivent à la conclusion que le plus structurant relève de l’autopositionnement politique et du niveau d’éducation suivi, dans une moindre mesure, du sentiment de déclassement et de l’origine migratoire familiale. Ainsi, ils concluent que« L’hostilité envers les Roms n’est pas fondée sur l’expérience, mais sur un univers symbolique de stéréotypes plus prégnant chez les moins scolarisés. La dégradation de la condition socio-économique, elle, jour moins qu’il y a quelques années. »[5]

 

Les recommandations de la CNCDH

La CNCDH, en tant qu’organe consultatif, émet un certain nombre de recommandations, dont :

  • L’amélioration de l’accueil des victimes d’actes racistes, le dépôt de plainte et l’accroissement du taux d’élucidation des infractions en renforçant la sensibilisation des services d’enquêtes et de justice et en sensibilisant et formant les fonctionnaires à ces questions ;
  • Le déploiement rapide de la plainte en ligne pour les victimes de discriminations ;
  • Le renforcement des prérogatives et des moyens de l’inspection du travail et de la médecine de travail ;
  • Le maintien et l’utilisation des financements effectifs de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.

 

Pour lire le chapitre « Comprendre le racisme au prisme de l’antitsiganisme », tiré du rapport, c’est par ici

Pour lire la synthèse du rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, c’est par ici

Pour lire les 350 pages du rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, c’est par ici

 

 

 

[1] CNCDH, Les Essentiels. Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 2024, p. 8.

[2] CNCDH, Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 2023, p.229.

[3] CNCDH, Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 2023, p. 250.

[4] CNCDH, Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 2023, p. 257.

[5] CNCDH, Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 2023, p. 302